Comprendre le délit de marchandage avec Franklin Brousse : définition, risques et bonnes pratiques

Le délit de marchandage concerne la fourniture de main-d’œuvre à but lucratif qui nuit aux salariés. Me Franklin Brousse explique les risques et les bonnes pratiques pour sécuriser vos contrats de prestations intellectuelles.

Le délit de marchandage peut concerner toutes les entreprises qui font appel à des prestataires externes.

À l’heure où le travail se flexibilise et où les plateformes numériques se multiplient, le risque de délit de marchandage s’intensifie, souvent par ignorance des règles en vigueur. Cette réalité nécessite une vigilance accrue de la part des entreprises et des indépendants afin de prévenir les situations à risque.

Pour mieux comprendre ces enjeux, nous avons interrogé Me Franklin Brousse, avocat au Barreau de Paris spécialisé dans les Achats et l’IT. Il nous éclaire sur le champ d’application du délit de marchandage, les situations à risque et les bonnes pratiques à adopter pour sécuriser les collaborations et les processus d’achat.

Définition et contours du délit de marchandage : ce que dit la loi

Le délit de marchandage constitue une infraction du droit du travail, expressément prohibée par l’article L.8231-1 du Code du travail. Il désigne toute opération ayant pour objet de fournir de la main-d’œuvre à une entreprise utilisatrice, dans un but lucratif, et qui a pour conséquence de causer un préjudice au salarié concerné ou d’éluder l’application des dispositions légales ou conventionnelles.

Autrement dit, plutôt que de conclure un contrat de prestation clairement défini, l’entreprise se contente parfois de « louer » de la main-d’œuvre, sans assumer les obligations liées au statut de salarié : rémunération, conditions de travail et protection sociale. 

Cette pratique est interdite, car elle fragilise les droits fondamentaux des salariés et fausse la concurrence entre entreprises.

Dans ce contexte, la Cour de cassation, par son arrêt du 27 mai 2025 (Cass. soc., n° 23-21.926), a validé la requalification du contrat en contrat à durée indéterminée, jugeant que cette opération révélait une volonté manifeste de contourner la loi.

Délit de marchandage – prêt illicite – salariat déguisé : des notions voisines à distinguer

Le délit de marchandage peut être confondu avec d’autres situations proches, liées à la fourniture ou à la dissimulation de main-d’œuvre, car elles présentent des similarités concrètes et juridiques.

Me Brousse souligne que “ chacune de ces situations obéit à des critères distincts ”.

Comprendre la différence avec le prêt illicite de main-d’œuvre

Le prêt illicite de main-d’œuvre et le délit de marchandage concernent tous deux la mise à disposition de salariés, souvent dans un contexte de sous-traitance ou d’externalisation.

  • Les deux infractions interviennent dans des opérations à but lucratif liées à la fourniture de personnel
  • Elles impliquent une mise à disposition hors des cadres légaux autorisés (hors intérim, portage, etc.)
  • Elles font l’objet de sanctions pénales proches

Me Brousse opère la distinction suivante :

  • Le prêt illicite de main-d’œuvre est une mise à disposition à but lucratif dont l’objet exclusif est la fourniture de personnel, sans qu’il soit nécessaire d’établir un préjudice pour les salariés.
  • Le marchandage, lui, vise toute fourniture de main-d’œuvre à but lucratif qui cause un préjudice au salarié concerné ou élude l’application de règles légales ou conventionnelles, sans exiger l’exclusivité de l’objet.

Attention, les deux qualifications peuvent se cumuler si chacune de leurs conditions es remplie.

Si le fournisseur met à disposition de la main-d’œuvre qui exécute des tâches sous la direction du client, sans véritable apport de valeur ajoutée, on peut atteindre les limites du prêt illicite de main-d’œuvre. ” explique Franklin.

Il faut par ailleurs préciser qu’en pratique, une opération peut relever à la fois du prêt illicite et du marchandage si elle cause un préjudice au salarié. Le prêt illicite concerne uniquement le prêt de personnel, tandis que le délit de marchandage se caractérise par le préjudice subi par le salarié ou par un contournement de la loi.

Dans ce sens, la jurisprudence a également condamné une entreprise à indemniser une salariée victime de marchandage, mettant en lumière l’importance de la réparation civile lorsque l’infraction cause un préjudice au salarié.

Comprendre la différence avec le salariat déguisé 

Le salariat déguisé se rapproche du délit de marchandage dans la mesure où il porte aussi atteinte aux droits des travailleurs en masquant leur véritable statut.

  •  Les deux situations sont motivées par une volonté d’échapper aux règles protectrices du droit du travail
  • Elles impliquent toutes deux souvent une relation de travail dissimulée, avec un contrôle effectif du travailleur par l’utilisateur
  • Dans les deux cas, les salariés ou travailleurs perdent des protections sociales et des droits

Me Brousse explique : « On parle souvent de “salariat déguisé”. En droit, cela se traduit par la requalification en contrat de travail lorsqu’un lien de subordination est caractérisé (pouvoir de direction, contrôle, sanction). Le cas échéant, cela peut relever du travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, avec rappels de salaires, cotisations sociales, indemnités et sanctions pénales possibles. Si le contrat est requalifié en contrat de travail, le droit du travail s’applique : rappels de salaires, congés, indemnités et sanctions pénales pour travail dissimulé.

 La Cour de cassation a précisé, dans le cadre du travail dissimulé, les conséquences fiscales et sociales, notamment sur les exonérations de cotisations  (Cass. civ. 2e, 20 mars 2025, n° C20-0264).

La différence majeure est que le salariat déguisé concerne la dissimulation d’un lien de subordination salarié derrière un contrat commercial, tandis que le délit de marchandage concerne une fourniture à but lucratif de main-d’œuvre qui cause un préjudice spécifique au salarié.

Délit de marchandage : un enjeu réel pour l’externalisation des prestations intellectuelles

Le délit de marchandage représente un risque juridique pour les entreprises externalisant des prestations intellectuelles (prestation de services en informatique, ingénierie, conseil ou logistique etc).

Me Brousse rappelle que même dans les missions immatérielles, le risque existe :

La nature intellectuelle de la prestation ne change rien. Les critères juridiques restent exactement les mêmes. Si le client donne les ordres, contrôle le travail et intègre le prestataire dans son organisation comme s’il s’agissait d’un salarié, alors le risque est réel.

C’est pourquoi il est primordial pour les acteurs concernés de maîtriser les critères juridiques précis qui caractérisent ce délit afin de prévenir tout risque de requalification. Concrètement, plusieurs bonnes pratiques permettent de se prémunir contre le risque de délit de marchandage.

Définir clairement l’objet du contrat

Il s’agit d’abord de définir précisément l’objet du contrat, en indiquant clairement les missions confiées au prestataire. L’objectif est de lever toute ambiguïté avec le prêt de main-d’œuvre à but lucratif, c’est-à-dire la mise à disposition d’un salarié dans une autre entreprise uniquement pour en tirer un profit, ce qui est interdit par la loi.

Le prestataire conserve son autonomie dans l’exécution de ses missions et n’est pas soumis à un lien de subordination juridique ou hiérarchique vis-à-vis de l’entreprise cliente.

La nature réelle de la relation entre les parties prenantes

Le contrat détermine la nature réelle de la relation entre les parties. Il précise l’objet et les missions confiées au prestataire et exclut toute confusion avec un prêt de personnel.

Dans une prestation intellectuelle, le prestataire agit de manière indépendante, organise librement ses méthodes de travail, utilise son propre savoir- faire, ses outils et ses méthodes pour réaliser la mission, et n’est soumis à aucun lien de subordination juridique ou hiérarchique ni à un contrôle direct de l’entreprise cliente.

Signes de subordination à éviter

À l’inverse, une intégration complète du prestataire dans l’équipe, comme l’utilisation du même badge, le respect des mêmes horaires, la réception d’instructions hiérarchiques quotidiennes, un reporting similaire à celui des salariés internes, ou une facturation au temps passé sans livrables précis, traduit une relation de subordination.

Me Brousse illustre ce risque avec un exemple concret : L’exemple classique que je donne, c’est un service avec huit personnes : quatre salariés et quatre prestataires effectuant les mêmes tâches. Dans ce cas, il y a clairement un problème. À l’inverse, faire appel à un expert hautement spécialisé qui n’existe pas dans l’entreprise est légitime.”

Facturation, durée et organisation : points de vigilance

Concernant la facturation, elle doit être limitée aux seuls éléments correspondant à la prestation réalisée, fondée sur le savoir-faire et l’expertise du prestataire, et non à une simple mise à disposition de main-d’œuvre.

Franklin souligne également qu’ “attribuer des adresses e-mails distinctes aux prestataires, limiter la durée des missions, facturer la prestation sur la valeur ajoutée et non sur le simple temps passé sont autant de mesures concrètes pour prévenir le délit de marchandage. Seule une appréciation d’ensemble de la relation d’affaires (contrat + exécution in concreto) permet d’écarter le risque. »

Responsabilité et conséquences du délit de marchandage 

Bien que le délit de marchandage expose à plusieurs types de sanctions, Me Brousse précise qu’ “il n’y a pas énormément de procès, mais quand un contentieux éclate, les conséquences financières peuvent être énormes.

Souvent, c’est à la suite d’une dénonciation par un ancien salarié ou prestataire que l’inspection du travail est saisie.

Parmi les sanctions figurent notamment :

  • Sur le plan pénal, les personnes physiques encourent jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende.
  • Pour une personne morale : amende multipliée par cinq (jusqu’à 150 000 €), avec possibles interdictions d’activité ou fermeture de l’établissement.
  • Si plusieurs salariés sont concernés ou s’il s’agit de personnes vulnérables, la peine peut atteindre 5 ans de prison et 75 000 € d’amende.
  • Sur le plan civil, le délit peut entraîner la requalification du contrat en CDI, le versement de rappels de salaires et des redressements URSSAF.

 La jurisprudence récente confirme l’application stricte de ces peines, comme l’a rappelé un arrêt de la Cour de cassation du 25 février 2025 (chambre criminelle, (n° Q 24-81.000)).

Les conséquences réputationnelles sont également significatives : perte de confiance, exclusion des appels d’offres publics et atteinte à l’image de l’employeur.

Pour terminer, François résume les points essentiels pour sécuriser les missions : La première recommandation, c’est de veiller à avoir des contrats solides, qui décrivent précisément la mission, ses livrables et son périmètre. La deuxième recommandation, c’est d’assurer des conditions d’exécution conformes à ce qui est prévu. L’essentiel se résume donc à deux points : un contrat clair et détaillé et une exécution fidèle à ce cadre.