Les nouveaux modes d’organisation du travail, portés par les plateformes numériques, le portage salarial ou encore la sous-traitance, redéfinissent profondément les relations contractuelles entre acheteurs, freelances et intermédiaires.
Ces évolutions soulèvent plusieurs questions : comment sécuriser juridiquement ces relations ? Comment clarifier les rôles et responsabilités dans une relation impliquant trois acteurs ? Et comment anticiper les risques liés à l’émergence de l’intelligence artificielle ?
Pour mieux comprendre ces enjeux complexes, nous avons sollicité l’expertise de Cyrille Mame, Responsable des achats de prestations intellectuelles IT et Stratégie sourcing au sein du groupe Air France-KLM.
La formalisation contractuelle : un enjeu fondamental selon Cyrille Mame
Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises font appel à des professionnels extérieurs, freelances, sous-traitants, portage salarial ou plateformes intermédiaires, pour réaliser certaines missions.
Dans ce contexte, pourquoi la sécurisation des contrats est-elle devenue un enjeu central dans les relations entre ces différents acteurs ?
Alors que la relation commerciale peut sembler fluide au départ, portée par une confiance réciproque et des objectifs partagés, c’est précisément lorsque surviennent des imprévus ou des litiges que le contrat devient un repère fondamental.
Si les débuts d’une collaboration peuvent sembler harmonieux, c’est bien souvent dans les situations de tension ou de désaccord que l’on évalue réellement la solidité du cadre contractuel.
“ C’est comparable à un contrat d’assurance (avec les nombreux « astérix ») : on en sous-estime parfois l’importance de son contenu tant que tout se passe bien, mais en cas de litige ou de manquement, son absence ou ses lacunes peuvent rapidement poser problème ”, souligne-t-elle.
D’où, selon elle, la nécessité de formaliser avec rigueur les responsabilités et les engagements de chaque partie dès l’origine, qu’il s’agisse du client, du fournisseur ou d’un intermédiaire.
Ce formalisme constitue un levier de protection juridique pour l’ensemble des parties prenantes. Il permet également aux assureurs de s’appuyer sur une base contractuelle claire en cas de contentieux.
“ C’est un peu comme dans le cadre d’un contrat de mariage : tant que tout se déroule normalement, les clauses paraissent secondaires. Mais lorsqu’un désaccord survient, ce sont précisément ces clauses qui prennent toute leur importance ”, conclut-elle.
Les risques d’un contrat mal sécurisé : enjeux et conséquences
Quels sont, selon vous, les principaux risques ou conséquences associés à un contrat mal rédigé ou insuffisamment sécurisé ?
Le premier risque identifié concerne la gestion des données, qu’elles soient sensibles ou critiques pour l’entreprise.
“ C’est un enjeu de discrétion, de confidentialité. Il faut pouvoir encadrer cela contractuellement ”, insiste-t-elle.
Vient ensuite la question des manquements ou erreurs pouvant survenir au cours de la mission. Même si certaines défaillances relèvent de l’humain, la délimitation des responsabilités reste primordiale.
“ À quel moment une faute engage qui ? À qui incombe la charge d’un dysfonctionnement ? Ce sont des questions essentielles. ”
Un autre aspect souvent négligé, selon elle, concerne les conditions de travail, en particulier dans un contexte généralisé de télétravail.
“ Certains consultants pensent que les accords passés avec leur société d’intermédiation s’appliquent aussi automatiquement chez le client final. Or, ce n’est pas toujours le cas ”, rappelle-t-elle.
Cyrille Mame attire également l’attention sur deux éléments discrets mais potentiellement sources de tensions : la propriété intellectuelle, d’une part, et la restitution du matériel confié au consultant, d’autre part.
“ Pouvant être considéré comme un détail en apparence, selon la nature du matériel cela peut créer de vraies tensions en fin de mission. ”
Enfin, elle insiste sur l’importance d’anticiper la phase de fin de mission, y compris en cas de rupture imprévue.
“ Il est essentiel de définir en amont les modalités de cette transition, pour éviter toute désorganisation de l’activité ou du service. ”
Ces éléments, souvent relégués au second plan lors de la rédaction du contrat, peuvent pourtant avoir des conséquences concrètes pour l’entreprise cliente s’ils ne sont pas clairement encadrés.
Acheteur, intermédiaire, freelance : comment articuler les responsabilités ?
Il est courant de dire que l’acheteur définit le besoin, l’intermédiaire facilite la relation, et le freelance exécute la prestation.
Comment distinguer clairement les responsabilités de l’acheteur, de l’intermédiaire et du freelance dans une mission ? Peut-on aller plus loin dans la précision des rôles ?
“ Derrière les rôles attribués à chacun, il y a des expertises complémentaires qu’il faut articuler dans le contrat.
Par exemple, celui qui rédige ou propose le modèle de contrat doit réfléchir au-delà du simple déroulé idéal de la mission. Il faut toujours penser aux scénarios où les choses ne se passent pas comme prévu. Personnellement, j’analyse toutes les conséquences (les enjeux et risques) possibles avec les équipes métiers : ce sont eux qui connaissent la mission dans le détail. C’est cette collaboration entre les fonctions juridiques, achats, et opérationnelles qui permet de bien cadrer les responsabilités dès le départ. Finalement, il n’y a pas de meilleur expert que celui qui va bénéficier la prestation au quotidien. ”
Elle précise par ailleurs, que dans la réalité du terrain, il n’est pas rare que les rôles entre acheteur, intermédiaire et freelance s’entremêlent, malgré un cadre contractuel théoriquement bien défini :
“ Les relations humaines, par nature informelles, peuvent parfois brouiller les limites de chacun. Ces situations peuvent fragiliser l’équilibre global. Cela peut générer des déséquilibres dans la relation commerciale, créer des malentendus, voire affaiblir le cadre contractuel ”, prévient-elle.
Un exemple typique : un consultant (plutôt qu’un commercial) qui prend directement contact avec l’équipe métier (manager) au lieu du service Achat de son client final pour évoquer un besoin ou discuter du TJM (taux journalier moyen). Si ces échanges touchent à des informations sensibles, soumises à des clauses de confidentialité, ils deviennent délicats.
“ Dès lors que ces échanges portent sur des informations couvertes par des engagements contractuels, cela devient risqué ”, insiste-t-elle.
Dans les faits, l’intermédiaire reste l’interlocuteur formel. Mais ce principe est parfois mis à mal du fait de la proximité.
“ En pratique, il est souvent nécessaire de rappeler ces règles. Dans ce contexte, l’acheteur a un rôle central à jouer : il agit presque comme un arbitre, en veillant à ce que chacun reste dans son périmètre. ”
Dès les premiers échanges, Cyrille Mame s’attache donc à poser un cadre clair. Car même avec des garde-fous contractuels, certaines attitudes informelles peuvent émerger.
“ Un freelance peut vouloir connaître le TJM d’un autre prestataire ou la marge prise par la plateforme. Ce sont des sujets sensibles, qui peuvent nuire à l’équilibre de la relation si l’on n’y prend pas garde. ”
Le rôle clé de l’intermédiaire dans la gestion des litiges
Quel rôle joue l’intermédiaire dans la gestion des litiges entre acheteurs et freelances ?
“ L’intermédiaire, qu’il s’agisse d’une société de portage ou d’une plateforme, occupe une position centrale dans la gestion des litiges. En contractualisant avec les deux parties, il devient l’interlocuteur privilégié pour recevoir les réclamations, analyser les différends et rechercher une solution équilibrée. Il joue souvent un rôle de régulateur, permettant de préserver la relation entre acheteur et freelance en désamorçant les tensions. Il reste garant du bon fonctionnement de la relation commerciale.
Cette posture contribue à maintenir un climat de confiance et à prévenir l’escalade vers des contentieux longs et coûteux. ”
Comment chaque acteur anticipe et gère ses propres risques dans la contractualisation ?
Comment chaque acteur : acheteur, intermédiaire, freelance, peut-il prendre en compte ses propres risques et responsabilités dans la construction d’un contrat sécurisé et adapté aux réalités opérationnelles ?
La sécurisation contractuelle ne relève pas de la seule responsabilité d’un acteur : selon l’origine du contrat, chaque partie doit évaluer les risques et les enjeux à l’aune de son propre périmètre d’expertise. Cyrille Mame détaille sa propre méthodologie : elle n’aborde jamais la rédaction d’un contrat en supposant que tout se passera idéalement. Au contraire, elle anticipe les scénarios à risque, en travaillant en amont avec les équipes métiers pour évaluer les conséquences financières potentielles de différents types de manquements. Cette démarche préventive permet ensuite de bâtir des clauses sur mesure, en lien direct avec les besoins opérationnels, car, comme elle le souligne :
“ Il n’y a pas de meilleur expert que celui qui utilise le service.”
Responsabilités et risques contractuels : un enjeu partagé
Certains acteurs sont-ils plus exposés que d’autres en cas de défaillance contractuelle ?
La répartition des responsabilités dépend principalement de ce qui est prévu dans les contrats entre les parties.
“ Par exemple, si je contracte avec une société d’intermédiation, c’est elle qui assume en premier lieu la responsabilité vis-à-vis de mon entreprise. En tant que cliente, je veille donc à sécuriser au maximum ce lien. Mais en retour, cette société d’intermédiation doit elle-même avoir des contrats bien ficelés avec ses consultants, afin de couvrir ses propres risques. Ainsi, chaque acteur doit veiller à sa propre sécurisation, car les responsabilités sont réparties en fonction des relations contractuelles. ”
La rigueur contractuelle : un enjeu majeur dans tous les secteurs et des exigences renforcées dans certains domaines
Au-delà des enjeux liés à la rédaction initiale du contrat, ce sont souvent les petits oublis ou les situations mal anticipés qui déclenchent les litiges.
Quelles erreurs ou négligences observez-vous le plus souvent dans les relations contractuelles entre acheteurs, freelances et intermédiaires ? Y a-t-il des situations récurrentes à éviter ?
“ Les problèmes les plus fréquents apparaissent généralement lorsqu’il y a une rupture dans la relation : par exemple, si une mission s’arrête brutalement, si la qualité de service n’est pas au rendez-vous, ou si les clauses du contrat ne sont pas respectées. C’est dans ces cas de séparation imprévue que les litiges surviennent le plus souvent. Il peut y avoir des oublis, mais cela dépend beaucoup du contexte. Par exemple, les délais de livraison ne posent pas toujours problème, car dans la majorité des cas, on travaille sur la base d’une obligation de moyens (le freelance fait de son mieux, mais sans garantie de résultat).
Ce n’est que dans des cas précis, comme un projet avec une livraison attendue à une date fixe ou des objectifs prédéfinis, qu’il y a une obligation de résultat, et là, les délais deviennent prioritaires. Ce qui peut vraiment être préjudiciable ou « coûter cher », ce sont les erreurs humaines dans des secteurs sensibles comme l’aéronautique et le transport aérien. Une simple défaillance peut engendrer des conséquences d’ordre financiers énormes, pouvant atteindre des centaines de milliers d’euros voir des millions. C’est pour cette raison que dans certains secteurs, les contrats sont rédigés de manière très rigoureuse.”
Comprendre la nature juridique des contrats dans les relations avec les sociétés d’intermédiation
On entend souvent parler de “ contrats tripartites ” dans le cadre des prestations via sociétés d’intermédiation.
Que cela signifie juridiquement et comment se structurent réellement ces contrats ?
Dans les relations commerciales impliquant un client, une société d’intermédiation et un consultant indépendant, la notion de “contrat tripartite” est souvent utilisée, mais pas toujours à bon escient. Pour Cyrille Mame, il convient de préciser que cette expression ne correspond pas rigoureusement à la réalité juridique de ces relations.
“ Le tripartite, c’est un contrat liant directement trois parties simultanément, ce qui n’est pas le cas ici. En réalité, la société d’intermédiation est au centre du dispositif. Elle contractualise séparément avec le client d’une part, et avec le consultant d’autre part. Ce sont donc deux contrats parallèles, mais distincts.”
Cette configuration implique que la société d’intermédiation assume la responsabilité qualitative et juridique des prestations délivrées par ses consultants :
“ Si un problème survient, le client ne traite pas directement avec le freelance, mais bien avec la société d’intermédiation, qui doit gérer la situation et sécuriser la relation « , ajoute-t-elle.
Ainsi, bien que le terme de “ contrat tripartite ” soit couramment utilisé, il ne reflète pas avec précision la nature juridique des engagements dans ce type de relation. Cette clarification est donc très importante pour bien comprendre les responsabilités et les limites de chaque partie dans ce cadre.
Confidentialité, matériel, responsabilités : les détails contractuels qui font la différence
Quelles clauses sont indispensables dans ce type de contrat ?
» Il existe des clauses génériques incontournables, telles que celles relatives à la protection des données personnelles (RGPD) ou à la sécurité des informations, qui constituent des bases indispensables « , explique-t-elle.
Elle revient sur les éléments critiques encore trop souvent omis dans les clauses contractuelles et insiste sur l’importance de définir précisément les responsabilités contractuelles, en allant au-delà des formulations générales.
Aussi, les départs inopinés ou les changements de société en cours de mission, sont des situations rarement anticipées dans les contrats.
Elle souligne également le manque de formalisation des conditions de travail, souvent évoquées à l’oral, ainsi que l’insuffisance de clauses concernant la restitution du matériel ou les obligations de confidentialité.
Sur la question de la confidentialité, elle vise particulièrement les situations dans lesquelles le manque de discrétion de certains consultants peut mettre en danger la protection des données sensibles du client.
“ On parle souvent d’engagements globaux entre client et fournisseur, mais lorsqu’un incident survient, c’est dans le détail que se joue la répartition des responsabilités. Si un consultant se voit prêter un ordinateur professionnel et consulte des sites non sécurisés, provoquant une cyberattaque, qui est responsable ? Le contrat interdit-il explicitement l’usage personnel du matériel ? Encadre-t-il les pratiques de navigation ? ”
Ces questions, selon elle, devraient être anticipées et formalisées clairement par écrit, car en l’absence de précisions contractuelles, la répartition des responsabilités peut devenir floue et risquée pour toutes les parties.
Contrats et externalisation : vers une contractualisation sur mesure et collaborative
L’essor de nouvelles formes d’externalisation, plateformes numériques, portage salarial, sous-traitance, soulève une question centrale : ces évolutions modifient-elles profondément la façon dont les contrats sont conçus ?
Sont-ils devenus plus complexes, ou au contraire plus simples ? Vers une standardisation des modèles, ou une adaptation systématique au cas par cas ?
Cyrille Mame insiste sur le fait que, dès lors qu’une société d’intermédiation assume l’ensemble des responsabilités, il est nécessaire d’approfondir l’analyse des risques afin de bien qualifier les enjeux et en délimiter les contours. Cette étape devient un prérequis à la rédaction du contrat, dans une logique de prévention des risques et de sécurisation juridique optimale.
Au-delà de leur fonction d’intermédiaire, ces sociétés ont également un rôle collaboratif à assumer auprès de leurs clients. Cela passe notamment par le partage d’indicateurs de performance (KPI) et d’analyses communes, dans une logique d’amélioration continue (exemple pour les objectifs mesurables : les Objectifs des clés de Résultats (OKR) :
“ Il y a une dimension collaborative, avec des KPI et des analyses menées ensemble : c’est une façon de progresser mutuellement.”
Ainsi, loin d’être figée ou standardisée, la contractualisation dans ce contexte s’adapte aux besoins spécifiques des parties, intégrant des clauses précises qui reflètent les situations concrètes.
L’impact incertain de l’IA sur la sécurisation des contrats dans les prestations intellectuelles
Face à l’évolution rapide des technologies, notamment la digitalisation et l’intelligence artificielle (IA), les professionnels sont nombreux à s’interroger sur les conséquences à venir pour la sécurisation juridique dans le domaine des prestations intellectuelles.
Quelles évolutions sont à prévoir avec la digitalisation et l’essor de l’IA, notamment en matière de sécurisation juridique ?
Notre experte décrit la situation comme “ extrêmement complexe et en pleine évolution ”.
Elle souligne que, si beaucoup évoquent l’intégration de l’IA pour renforcer la conformité aux normes ou faciliter la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), son application spécifique aux contrats d’achat de prestations intellectuelles reste encore peu claire.
Selon elle, un enjeu majeur reste encore largement sous-estimé : l’intégration de clauses spécifiques à l’intelligence artificielle dans les contrats. En effet, leur rédaction s’avère complexe, car les usages comme les risques liés à l’IA demeurent encore imprécis et peu maîtrisés.
“ Comment encadrer juridiquement des technologies dont les effets sont par nature imprévisibles ? Et surtout, comment répartir les responsabilités dans un contexte où l’incertitude demeure aussi forte ? ”, s’interroge-t-elle.
Elle observe aussi que la réglementation peine à suivre la vitesse des innovations technologiques, ce qui implique une phase d’expérimentation où les risques seront testés avant d’être clairement encadrés par la loi.
Elle ajoute que cette incertitude concerne également des problématiques plus larges liées à la cybersécurité : les cyberattaques, le vol ou la manipulation de données, ainsi que la désinformation par la modification d’images ou de vidéos via l’IA :
“ Ce sont des dangers difficiles à quantifier mais qu’il faut garder à l’esprit. ”
En somme, l’intégration de l’IA dans les contrats de prestations intellectuelles pose aujourd’hui plus de questions que de réponses, soulignant la nécessité d’une vigilance accrue des parties prenantes et d’une adaptation progressive des cadres juridiques.
Sécuriser les contrats : l’importance des avenants écrits en cas de changements majeurs
Comment gérer les avenants ou modifications en cours de mission pour préserver la sécurité contractuelle ? Faut-il systématiquement formaliser par écrit tout changement, en précisant par exemple les impacts sur les délais de paiement ?
“ La réponse dépend avant tout de l’importance du changement. Pour une modification mineure et sans conséquence, un simple accord verbal peut suffire, car l’impact reste limité. En revanche, lorsque le changement entraîne des impacts majeurs, notamment financiers, il est impératif de formaliser la modification par un avenant écrit. Ce n’est pas une question de méfiance, mais bien une précaution indispensable pour sécuriser les intérêts de toutes les parties, qu’il s’agisse du client ou du fournisseur. Cependant, dans la pratique, l’accumulation d’avenants peut compliquer la gestion du contrat. C’est pourquoi sécuriser le contrat cadre dès le départ est primordial. ”
Un cadre solide permet donc de limiter les avenants aux seuls cas présentant de réels enjeux, rendant ainsi la gestion contractuelle plus claire et maîtrisée.
Requalification du contrat de prestation : comment les acheteurs peuvent – ils se prémunir ?
Comment les acheteurs peuvent – ils se protéger contre les risques de requalification du contrat de prestation en contrat de travail ?
Bien qu’elle n’ait jamais été directement confrontée à un cas de requalification, Cyrille Mame indique avoir entendu (lors de différentes séances de brainstorming) « énormément de versions différentes sur ce que recouvre exactement les causes de la requalification« , ce qui complique la mise en place de mesures préventives efficaces.
Selon elle, » le problème vient souvent d’un manque de précision dans les droits et obligations de chacun. Si ces éléments ne sont pas clairement définis dès le départ, il devient très compliqué d’éviter ce type de situation. »
Elle insiste ainsi sur l’importance d’un contrat bien rédigé, non seulement sur le fond, mais aussi dans les détails :
« La première protection, c’est un contrat de prestation bien rédigé. Il ne suffit pas de poser les grandes lignes ; il faut aussi penser aux détails, y compris ceux qu’on a tendance à négliger. Ce sont justement ces petits points qui peuvent faire toute la différence. «
Un autre facteur central tient aux conditions d’exécution de la mission. Elle rappelle que le respect de l’indépendance du freelance est fondamental :
» On ne peut pas imposer des horaires de présence ou des modalités d’exécution sortant du cadre contractuel, comme on le ferait pour un salarié. «
Enfin, elle souligne l’importance d’une collaboration étroite entre les différentes parties prenantes internes à l’entreprise :
» L’acheteur ne peut pas rédiger seul un contrat s’il ne comprend pas parfaitement les besoins opérationnels. Ce sont aux métiers de définir leurs attentes de manière précise dès le départ, afin de permettre à l’acheteur de sécuriser au mieux la relation contractuelle (ou les enjeux et les risques). «
Encadrement juridique des relations freelances et intermédiaires : un socle solide, mais des zones d’ombre
Pensez-vous que le cadre légal actuel est suffisamment clair et strict pour encadrer les relations acheteur – freelance – intermédiaire ? Ou faudrait-il des règles plus contraignantes ?
« Sur le plan juridique, le cadre réglementaire actuel constitue un socle solide : il existe aujourd’hui un ensemble de clauses permettant d’encadrer efficacement les relations contractuelles dans ce type d’activité. Ce qui fait parfois défaut, en revanche, c’est une application plus fine, contextualisée et opérationnelle du droit sur le terrain.
Prenons l’exemple du délit de marchandage : les interprétations que j’ai pu entendre sont nombreuses, souvent divergentes, voire contradictoires. Certains considèrent qu’un simple changement d’intitulé de mission suffit à écarter le risque. D’autres appliquent des seuils très rigides. Résultat : il devient difficile de savoir précisément à partir de quel moment une situation devient juridiquement problématique. C’est un sujet qui mériterait d’être clarifié.
Pour ma part, lorsqu’un consultant dépasse 18 mois de mission, je commence à m’interroger : est-on toujours dans le cadre d’une prestation indépendante, ou commence-t-on à glisser vers une forme de salariat déguisé ? Ces zones grises sont nombreuses, et nécessitent d’être mieux balisées pour éviter les risques de requalification. «
Anticiper les conflits pour préserver la relation commerciale
Les freelances disposent-ils aujourd’hui de moyens juridiques suffisants pour se défendre dans ce type de relation ? Quels sont les mécanismes efficaces pour anticiper ou résoudre les conflits contractuels ?
“ Je me répète car c’est fondamental : pour éviter d’aboutir à des situations conflictuelles lourdes, la priorité est avant tout mise sur la prévention. En interne, j’encourage mes équipes à alerter immédiatement le fournisseur dès l’identification d’un problème, même mineur.
Je veille également à ce que toutes les parties disposent en amont des informations nécessaires, afin d’écarter toute situation où l’on pourrait prétendre “je ne savais pas”. À mon sens, la première garantie, tant pour nous que pour le freelance, repose sur une transparence constante.
Par la suite, tout repose sur un dialogue ouvert. Lorsqu’un manquement est constaté, il convient d’en discuter avec pragmatisme. Il est normal que des désaccords surviennent, mais il est essentiel de garder une perspective à long terme. Dans ce secteur, les mêmes acteurs collaborent régulièrement, et une mauvaise gestion aujourd’hui peut compromettre des relations futures.
La crise du Covid-19 a par ailleurs mis en lumière les partenaires sur lesquels on pouvait réellement compter, ainsi que ceux qui se sont désengagés, une attitude qui laisse des traces durables dans les relations professionnelles.
Il existe donc des outils juridiques pour sécuriser ces relations : clauses de médiation, d’arbitrage, recours à des assurances, ou encore l’intervention des plateformes elles-mêmes comme intermédiaires. Cependant, ces dispositifs restent insuffisants sans un cadre relationnel sain et anticipé. C’est pourquoi j’insiste particulièrement sur l’importance de la communication, de l’alerte précoce et d’une posture constructive, qui protègent l’ensemble des parties impliquées.”




