La réforme du droit du travail menée par le gouvernement Macron cristallise actuellement de nombreuses tensions. Parmi elles : l’extension du « CDI de chantier », jusqu’ici cantonné au secteur du BTP.

Mercredi 12 juillet dernier, l’Assemblée nationale donnait son feu vert à l’élargissement du CDI de chantier, contrat hybride entre CDD et CDI, afin de permettre aux entreprises de gagner en agilité, souplesse et flexibilité. Cantonné jusqu’ici au secteur du BTP, ce contrat permet d’embaucher un salarié le temps d’un chantier ou d’une opération. Si « il n’est pas question de le généraliser à toutes les entreprises », avait précisé la ministre du travail, Muriel Penicaud, « que les secteurs d’activité, dans des conditions à définir et régulées par les partenaires sociaux au niveau de la branche, puissent envisager ce type de contrat, ça a du sens ».

Une formule hybride qui fait polémique

Pour les syndicats, ce projet signe la « mort du CDI » et risque de généraliser la précarité. « 75% des jeunes qui entrent sur le marché du travail ont des emplois précaires, avait de son côté tenu à rappeler Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement. Le CDI, si vous lui donnez un peu plus de souplesse et qu’il permet à ces jeunes de rentrer en CDI, c’est quand même plus intéressant que l’intérim ». Le 12 juillet dernier à l’Assemblée nationale, Nicole Penicaud avait insisté sur le fait que ces contrats étaient bien des CDI, une mention permettant « d’emprunter » et de se « loger, ce qui est le drame des jeunes » et pourrait  « permettre à des intérimaires et à des CDD de sortir de la précarité pour aller vers le CDI ».

Les spécificités du CDI de chantier 

Tel qu’il existe aujourd’hui dans le BTP, le CDI dit « de chantier » ne mentionne aucune date de fin précise, ce qui permet à l’employeur d’ajuster la durée effective du contrat aux besoins du chantier et de s’adapter aux aléas (retards, aléas climatiques, etc.) La spécificité de ce CDI ? La présence d’une clause « de chantier », qui permet à l’employeur de motiver la rupture du contrat de travail et, en cas de licenciement pour cause de chantier terminé, de justifier que ce licenciement n’est pas abusif. L’employeur doit néanmoins justifier qu’il est bien dans l’incapacité de conserver son salarié. Par ailleurs, il ne peut le licencier, même si sa mission est achevée, dès lors que d’autres personnes continuent de travailler sur le chantier. Une fois licencié, le salarié bénéficie pendant un an d’une priorité pour être réembauché. Enfin et contrairement à un CDD, le CDI de chantier ne donne pas droit à une prime de précarité.  Le salarié percevra une indemnité compensatrice de préavis et, s’il dispose d’au moins une année d’ancienneté, il pourra demander une indemnité de licenciement.

 

Parole de DRH

Jérôme Leparoux, DRH du groupe Daher, équipementier pour l’aéronautique et les technologies avancées

CDI de chantier, intérim, portage salarial : quel statut privilégiez-vous pour l’embauche de travailleurs indépendants ?

Ces statuts sont complémentaires et permettent d’élargir la palette de solutions dans une tendance générale où différentes formes juridiques de collaboration cohabiteront de plus en plus au sein d’une même entreprise. Le CDI de chantier, et son extension désormais possible, est une option intéressante dans la mesure où il permet davantage de développer la relation individuelle à l’entreprise et la dynamique collective.

 

Interview

Fabien Baiata, Directeur des Opérations et Relations Clients Valor Consultants, pionnier du portage salarial en France (Groupe Freelance.com)

Le gouvernement souhaite élargir le CDI de chantier à d’autres secteurs d’activités pour augmenter la compétitivité des entreprises. Qu’en pensez-vous ?

C’est une bonne nouvelle, pour autant le CDI de chantier ne permettra d’augmenter la compétitivité que lorsque l’état des carnets de commandes des sociétés de services sera suffisant pour le mettre en place. Il est vrai que par rapport au CDD classique, le CDI de chantier est valable pour une durée de 36 mois ce qui améliore la compétitivité face aux 18 mois du CDD et de sa prime de précarité de 10%. Pour autant, dans le secteur du bâtiment où le CDI de chantier est effectif depuis plusieurs années, il n’a pas permis de relancer véritablement la compétitivité et les embauches.

Ce contrat permet-il réellement plus de flexibilité pour l’entreprise ?

La flexibilité recherchée par les entreprises est déjà présente en partie par le recours au CDD et par le portage salarial via le CDI portage salarial. Le CDI de chantier sera sans doute utilisé mais donnera lieu à une gestion plus importante de la masse salariale de l’entreprise. De plus, le risque est que le chantier ne soit pas terminé alors que la compétence du salarié fait défaut et que les périodes de préavis sont dépassées. A ce jour seul le portage salarial permet l’arrêt de la prestation sans motif.

Quels sont les principaux avantages du portage salarial par rapport au CDI de chantier ?

Le portage salarial permet concrètement la flexi-sécurité recherchée par les entreprises. En effet, l’entreprise s’adjoint une compétence sans avoir à la salarier et se décharge donc de cette gestion et des risques juridiques possibles associés. Ceci est d’autant plus vrai que les entreprises fonctionnent de plus en plus par projet. Il leur faut donc une alternative sérieuse pour concilier leur croissance sans augmenter significativement leur masse salariale. Par le portage salarial, l’entreprise pourra aussi valider les compétences actives sous forme de pré-embauche avant une intégration. S’ajoute que le CDI de chantier sera rarement appliqué pour un maintien des compétences (préretraité ou retraité), le recours au portage salarial apparaît alors comme une solution évidente.